Un appel a été lancé à Paris pour une mobilisation générale face à la contrefaçon artistique, qui a pris des proportions dramatiques ces dernières années dans l’indifférence générale. Les représentants des successions Picasso, Dalí, Maillol et Rodin et l’association des ayants droit chargés des œuvres de Giacometti, Le Corbusier, Charlotte Perriand, Jean-Michel Frank, Emilio Terry, avec le comité des galeries d’art, ont réclamé que la contrefaçon artistique soit combattue à l’égal de celle des marques. Premier signe d’espoir : la création, le 21 octobre, au sein du comité national anticontrefaçon, d’un groupe de travail sur l’art, voulu par le ministère de la Culture.
Art déco.
Le contraste est criant : l’information du public et la saisie de stocks de faux sacs Vuitton ou de montres Cartier, ainsi que l’adoption d’une loi en 2007, détonne avec l’absence d’efforts dans le domaine des arts. Chaque jour, des marchands et des maisons de ventes aux enchères proposent des faux. Dans certains domaines, comme l’Art déco, plus de la moitié des meubles ou objets circulant sur le marché sont faux. On ne compte plus les faux Dalí. Il y a deux ans, les enquêteurs de Gironde ont interpellé six personnes, dont une avocate bordelaise et un ébéniste ukrainien, saisissant une soixantaine d’imitations de grands noms des années 30. En janvier, deux hommes ont été condamnés à Grasse à plusieurs années de prison pour avoir écoulé des faux César par centaines.
Mais ces opérations restent exceptionnelles. La Direction générale chargée de la fraude (DGCCRF) a toujours refusé de s’occuper d’art. Les sociétés collectant les droits des artistes, telle l’ADAGP, renvoient aux titulaires des droits, alors que son statut lui confie la mission de défendre les «intérêts moraux des auteurs», et d’engager des procédures pour assurer «l’intérêt général» de la «protection et la défense des auteurs et des ayants droit». Le ministère de l’Intérieur a mis fin au bureau d’enquête spécialisé. La cour d’appel de Paris traîne des pieds. Bref, les trafiquants sont ravis.
L’Europe n’a jamais engagé d’action visant la contrefaçon artistique, et l’Unesco, garante de la convention internationale des droits d’auteur, n’a pas assuré de suivi sur le sujet. Le conseil international des musées non plus, bien que les musées se retrouvent souvent impliqués. Lundi prochain à Stuttgart doit s’ouvrir le procès d’un énorme trafic de faux Giacometti : 1 200 imitations grossières (Libération du 28 août 2009). Mais, dénonce la Fondation Giacometti, le procureur n’a pas retenu l’atteinte au droit d’auteur. En 2007, la Kunsthalle de Manheim avait présenté six Giacometti, tous faux, qu’elle a rendus au trafiquant sans engager aucune action.
Colloque.
Il y a trois semaines, le musée Rodin a fait saisir trois sculptures à Saint-Dié (Vosges), dans une exposition maintenue par le conservateur et le maire, alors que les pièces - prétendument de Rodin, Dalí ou Degas - avaient été dénoncées comme contrefaites. La semaine dernière, les ayants droit ont réuni un colloque franco-allemand avec des juristes et des éditeurs d’art. Mais il a dû se rabattre en catastrophe au musée Rodin, alors qu’il devait se tenir en Allemagne. Le directeur du LehmbruckMuseum de Duisbourg, Raimund Stecker, a tout annulé à la dernière minute, paniqué par un scandale entraînant, selon ses dires, des «soupçons contre des collègues». Le musée a en effet acheté un tableau de Heinrich Campedonk censé provenir d’un marchand disparu en 1992, Werner Joseph Jäger, qui s’est révélé être un faux. Deux petites-filles Jäger ont été incarcérées, soupçonnées d’un trafic de faux signés Ernst, Léger, Derain, Metzinger.
Nombre d’œuvres ont été diffusées par la maison de vente Lempertz, où un faux Campendonk a atteint le record de 2,9 millions d’euros, et un Pechstein près de 500 000 euros. Trois tableaux ont également été adjugés par Christie’s à Londres. Certificats d’experts à l’appui.
Vincent Noce - Libération du 2 novembre 2010