Dans un courrier daté du 25 octobre, les fondations artistiques demandent à la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, de pouvoir bénéficier du droit de suite. Celui-ci permet aux artistes, ou à leurs héritiers pendant soixante-quinze ans, de toucher un pourcentage sur la revente de leurs œuvres. On ne compte plus les procédures qu’il a suscitées ces dernières années. Son harmonisation à l’échelle européenne a été obtenue de haute lutte, mais depuis le 1er janvier, il s’applique partout, à un taux dégressif, avec un plafond de 12 500 euros.
Introduit en 1920, alors que Drouot était en plein essor, pour permettre aux auteurs de bénéficier des ventes aux enchères de leurs créations, ce revenu avait été ouvert aux descendants, mais aussi aux légataires - qui peuvent être l’Etat (c’est le cas de Rodin en France, ou de Dalí en Espagne), une collectivité (Paris, pour Antoine Bourdelle, par exemple) ou une fondation (Giacometti ou Hartung). Mais en 1957, alors que la loi était renforcée pour étendre cette perception aux galeristes, les légataires ont été écartés de ce bénéfice.
L’association des ayants droit des artistes décorateurs (représentant Giacometti et Hartung, ainsi que Le Corbusier, Jean-Michel Frank, Emilio Terry, Robert Mallet-Stevens, André Arbus et Charlotte Perriand) a contre-attaqué. La Cour européenne de justice a estimé que chaque pays pouvait aménager la répartition à sa guise. Saisi à son tour, le Conseil constitutionnel a jugé, le 28 septembre, que cet écart pouvait se justifier par le souci essentiel «de protéger la famille de l’artiste pour l’avenir».Les titulaires de droits réclament désormais au gouvernement un changement législatif. A ce jour, Aurélie Filippetti n’a pas réagi.
L’idée pouvait se justifier quand des artistes ou leurs enfants vivaient dans la misère : on n’en est plus là, heureusement. Les 7 millions d’euros annuels perçus par l’association ADAGP, soit un tiers de l’ensemble des droits d’auteur, profitent pour l’essentiel à huit grandes familles (Picasso, Matisse…). Cette primauté accordée au droit du sang tourne ainsi à l’absurde : «Un arrière-petit-neveu ou un cousin éloigné», selon les termes de la lettre, touche cet argent même s’il ne s’est jamais intéressé à l’œuvre de son parent, contrairement à un légataire universel choisi pour la défendre. Assumant une mission de service public, les fondations se chargent ainsi d’inventorier l’œuvre et d’en écrire l’histoire, de réaliser des catalogues, de contribuer aux expositions, de prêter les tableaux et sculptures des fonds d’atelier dont ils ont hérité et de combattre la contrefaçon qui empoisonne le marché de l’art. Les auteurs de la lettre font remarquer que cette discrimination risque d’inciter les artistes à créer leur fondation à l’étranger.
Vincent Noce - Libération du 11 novembre 2012