Chaque jour en France, il se commet en moyenne quatre vols d’œuvres d’art, dans la quasi-indifférence générale. Quand les grands musées en sont victimes, ils font grand bruit. Peu d’affaires sont aussi retentissantes que la réapparition d’un trésor d’œuvres de Picasso dans les mains d’un électricien ayant travaillé pour lui : Pierre Le Guennec, dont Libération avait annoncé l’interpellation l’an dernier, a été mis en examen avec son épouse il y a un mois pour «recel», délit qui n’est pas prescrit. Cette nouvelle étape était logique depuis que Claudia Andrieu, juriste de la succession Picasso, avait apporté de nouveaux éléments à la justice.
Secret.
Plutôt hésitants au début, les enquêteurs ont relevé des contradictions et des omissions dans le récit du couple, qui affirme que ces 271 œuvres lui ont été données. D’autre part, des pièces placées à Drouot ont été saisies, provenant de la famille du chauffeur de Picasso, Maurice Bresnu, dit «Nounours», qui est apparentée aux Le Guennec.
Encore plus mystérieux sont deux autres cas que vient de révéler la presse régionale. Après El País,la Provence annonce une «première» : le vol d’une expo entière, celle que présentait le Catalan Joan Fontcuberta à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. Le larcin s’est déroulé il y a neuf mois, mais l’artiste catalan a décidé de briser le secret, l’enquête n’ayant rien donné. Depuis trente ans, il construit des mises en scène photographiques au service de la fiction, d’un récit littéraire ou d’une légende, comme sa célèbre Fauna Secreta, fantastique bestiaire. En l’occurrence, Fontcuberta avait accroché dans le Gard sa série Miracles & Co, dans laquelle il imagine une suite assez drôle de faits («l’invisibilité», «l’ubiquité» ou «la polarisation instantanée»). Quatre jours avant le vernissage, dans la nuit du 25 au 26 septembre, les 35 épreuves originales ont disparu de la salle. Seul est resté un grand format que les malfaiteurs n’ont pu emporter. Le préjudice est estimé à 140 000 euros.
Joan Fontcuberta, qui parle de «choc», a rompu le silence que lui avait demandé de garder le directeur, François de Banes Gardonne (celui-ci a préféré ne pas s’exprimer), par souci, selon l’artiste, «de ne pas dégrader l’image de la Chartreuse». Le photographe a mal pris de se voir proposer 35 000 euros d’indemnité, l’assureur ayant, selon la Provence, refusé de couvrir le sinistre en raison «des manquements en matière de sécurité». Il n’y aurait pas eu trace d’effraction, et la salle capitulaire qui accueillait l’exposition n’aurait pas été dotée de système d’alarme. Rappelons au passage que les dispositifs du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, du musée de Nice ou du musée Picasso ont été aussi mis en cause après d’autres vols spectaculaires.
Réception.
Négligence aussi à Pau, où la municipalité a constaté la disparition, dans une bâtisse qu’elle loue pour des événements, de six tableaux prêtés par le musée des beaux-arts. Disparus de la villa Basil’s, qu’ils décoraient depuis vingt ans, le 17 mai à l’issue d’une petite réception. Là encore, apparemment, sans protection adéquate. Des peintures du XIXe ou début du XXe siècle, mais aussi une nature morte aux crustacés de la grande période napolitaine du XVIIe siècle, signée Nicola Maria Recco. Là encore, c’est la presse régionale, dont Sud Ouest, qui a attiré l’attention. Le musée est venu récupérer les autres biens en sa possession. Pendant ce temps, le ministre de la Culture et le ministre de l’Intérieur n’ont pas un mot pour reprendre la lutte contre ce fléau et renforcer les moyens de leurs services.
Vincent Noce - Libération du 13 juin 2011