Et je remercie Madoff, et tous ses pairs…» Plutôt rare, ce compliment, entendu à la foire des antiquaires de Maastricht, résume la phénoménalisation du marché de l’art. Né il y a vingt ans d’un déballage de peinture hollandaise, ce salon appelé Tefaf (The European Fine Art Fair) est devenu le rendez-vous annuel du monde de l’art. 9 000 invités se sont pressés à la préouverture devant les éphémères trésors de 240 marchands. «Grâce à Madoff, disait ce galeriste de dessins, je peux présenter des œuvres comme cette vue de Chicago, que j’avais vendue l’année dernière, et que mon client m’a revendue pour compenser ses pertes en Bourse.»
Sous cloche. Le Tefaf, qui dure jusqu’au 22 mars, a ainsi l’air d’une plage tropicale sous cloche. Sans la fièvre des années précédentes, les premières heures étaient plutôt nerveuses. Ayant fait leurs emplettes chez Saint Laurent, les Français se faisaient rares. Les Américains moins présents.
Les budgets des musées aux Etats-Unis ont dégringolé de 30 %. Leurs directeurs ont exprimé leur émotion après l’annonce par l’université Brandeis (Massachusetts) d’une possible mise en vente de sa collection - 6 000 pièces d’art moderne et de design - et la fermeture de son musée. Obama lui-même a râlé.
Pourtant, à Maastricht, les sourires sont revenus. Nicolas Kugel a «très bien vendu», même s’il admettait : «Je ne sais dans quelle mesure c’est une retombée de la vente Saint Laurent», dont les Kugel ont été les principaux fournisseurs. Le cash circule : 5 millions d’euros déboursés pour un portrait de Rubens, 1 million pour un Kandinsky sur papier.
Le joailler Laurence Graff a confirmé sa réputation de payer trop cher des œuvres moyennes : 3,5 millions pour un Basquiat négligeant.
L’art décoratif est porté par le souffle de la vente Saint Laurent. En peinture, les marchands alignent Greco, Le Brun, Zurbaran, Schiele… Une nouvelle section design fait découvrir l’Art nouveau du Nord. La galerie Krugier a voulu prouver qu’elle continuait, après la mort de son fondateur.
En revanche, le contemporain s’est éclipsé. En février, les ventes dans ce secteur à Londres ont ramassé à peine 15 % du résultat de l’an dernier. La foire de Dubaï a fait un four.
Dépecer. Les artifices sont tombés. La crise est en train de dépecer le marché. «Il n’y a pas un marché de l’art, mais une centaine de marchés», dit l’économiste Clare McAndrew. «Les plus connectés aux marchés financiers sont les plus touchés», les autres bénéficient des effets de report. Pour quelques mois encore.
Vincent Noce - Libération du 16 mars 2009