Un prix dingue selon les experts.
Les Cent Jours (1) n’en finiront donc jamais ! «Le testament de Napoléon revient de Saint-Hélène», annonçait Le Figaro, relevant la mise aux enchères de deux codicilles du testament de Napoléon, recueillis dix-neuf jours avant sa mort. Provenant d’un collectionneur français, qui les avait obtenus des descendants du comte de Montholon, ils ont été revendus lundi à Drouot par la société Artemisia pour 357 000 euros, à un compatriote. Près de quatre fois la valeur supposée.
Un prix dingue, estime un expert libraire qui juge que l’acheteur «aura du mal à s’en débarrasser s’il le souhaite un jour !». Comme l’a révélé Bernard Géniès du Nouvel Observateur, elles avaient été proposées à moins de 1 500 euros en 2004 par la société Piasa, expertisées par Thierry Bodin...
Cette folie pourrait s’expliquer par l’irrationnel des enchères entre deux rivaux qui n’ont pas voulu céder. La presse assure que la société Aristophil, qui a fait exploser la cote des manuscrits ces dernières années afin d’alimenter des portefeuilles proposés aux particuliers, a poussé les enchères au plus haut. On ne prête qu’aux riches ? «C’est une mauvaise plaisanterie, nous avons mieux à faire; nous possédons déjà deux copies de codicilles bien plus importants», nous a affirmé son patron Gérard Lhéritier, qui se montre lui aussi interloqué par le montant de l’adjudication : «les enchères sont impénétrables et surprenantes, même pour l’Empereur !» Quant à l’Etat, il n’était pas intéressé, surtout à un tel prix.
Napoléon est certes un objet de fascination fétichiste, si bien que la moindre boucle de cheveu ou chemise qu’il aurait pu porter sur son lit de mort à Sainte Hélène peut s’envoler à plusieurs milliers d’euros. La pièce en outre avait une certaine valeur historique. Elle stipule des legs à des proches, anoblis par l’empire, et à sa «très chère mère», ainsi que cette volonté : «Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé». Seulement, l’article du Figaro prête à confusion, car il assurait que ces codicilles seraient «uniques».
En réalité, il s’agit clairement de copies, reportées et annotées de la main de Montholon, lequel assista le souverain déchu dans ses dernières semaines, porteuses d’une histoire bien particulière. Rédigée par l’expert Alain Nicolas, la notice du catalogue est sans ambiguïté sur ce point. Ces deux «copies conformes» (qui ne comportent aucune variante, même minime, avec l’original, sans la signature) étaient destinées à tromper l’ennemi. Elles ont été remises au gouverneur anglais Hudson Law, le 12 mai 1821, une semaine après la mort de Napoléon. Pendant ce temps, le testament complet - le vrai - était acheminé par les soins de Montholon en Europe à l’insu des British, dont l’empereur avait quelque raison de se méfier.
Le testament de Napoléon, explique Alain Nicolas, «comprenait treize pièces, écrites de sa main ou dictées et signées, datant du 13 au 29 avril», dont des instructions particulières délivrées à ses banquiers et gestionnaires. Les archives nationales en possèdent l’intégralité, sauf deux codicilles et un ajout secret, tellement secret qu’il a disparu corps et biens. Directeur des Archives de France, Hervé Lemoine a surveillé la vente de près : «Dans les dix originaux que nous possédons figurent les deux codicilles dont la copie par Montholon a été mise en vente. Elle était donc pour nous de peu d’intérêt».
Pour beaucoup, néanmoins, outre l’aura entourant ce personnage historique, cet emballement autour d’un document à l’importance secondaire est significatif des déséquilibres qui affectent le marché des manuscrits depuis qu’il a été investi par la spéculation financière.
(1) En 1815, battu par les forces alliées, Napoléon a réussi à s’évader de l’île d’Elbe en Méditerranée, pour reprendre le pouvoir pendant quatre mois (les fameux «cent jours»), avant sa chute finale et son envoi à Sainte Hélène, possession britannique au beau milieu de l’Atlantique.
Vincent NoceLibération du 7 novembre 2013