Il y a toutes les chances que le «plus grand musée du monde» investisse les espaces historiques de l’hôtel de la Marine, très convoité depuis la décision de déménagement de l’état-major, qui y loge depuis 1789. En mars 2010, Libération avait sonné le tocsin en révélant que le centriste Hervé Morin, alors ministre de la Défense, machinait dans les coulisses l’attribution de ce palais royal au financier Alexandre Allard. Avec, dans le rôle de l’intermédiaire, l’ex-ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, très lié à Morin avec qui ils formaient la garde rapprochée de François Léotard à la Défense.
Pétition.
En novembre, Morin avait alimenté les soupçons, en signant un «appel à projet» manifestement formaté sur mesure, la veille de son départ du gouvernement. Précipitation bizarre : compte tenu des retards pris par le chantier à Balard, la Marine ne sera pas appelée à déménager avant cinq ou six ans… Arrivant à la Défense, Alain Juppé manifestait son incompréhension. La mobilisation tardive des défenseurs du patrimoine a fait le reste. En janvier, Nicolas Sarkozy a créé la surprise en annulant l’opération. Il a alors confié à Valéry Giscard d’Estaing le soin de former une commission, appelée à rendre avis le 14 juillet. Choix qui n’avait rien d’innocent : Giscard ayant signé la pétition lancée par les amis de l’hôtel de la Marine s’opposant à toute «cession à des intérêts privés» de ce bâtiment emblématique de la Nation. Pétition qui a recueilli 10 000 signatures.
L’enjeu est sans précédent : construit à la demande de Louis XV par le grand architecte Gabriel pour abriter les collections royales, ce palais, place de la Concorde et rue Royale, est toujours resté un bâtiment régalien. Contrairement à l’hôtel Crillon, son pendant, il a gardé son mobilier et une partie de ses décors. A priori, la commission Giscard devrait recommander le projet, avancé par le Louvre, d’occuper les galeries historiques. Le musée, qui n’a jamais réussi à récupérer, rue de Rivoli, le bâtiment occupé par le musée des Arts décoratifs, souffre de l’inadéquation de ses surfaces d’exposition. Il servirait de chef de file, associant d’autres institutions dont le Mobilier national, renouant avec le passé prestigieux du garde-meubles royal.
En fin de semaine, le président du Conseil immobilier de l’Etat, Yves Deniaud (UMP), a forcé le mouvement en se disant favorable à l’attribution. En revanche, le rapport se contenterait de préconisations générales concernant les 20 000 m2 à l’arrière - comme de les maintenir dans la sphère publique. Tout donner au Louvre, qui pourrait y loger une partie de ses bureaux, serait le mieux. Il est doté d’une image et d’une puissance des collections et du mécénat sans rival.
Coût nul.
L’hypothèse aurait l’avantage de confier le site à un opérateur unique : on a vu, au Grand Palais ou au Palais de Tokyo, le bordel qu’entraîne la multiplicité des gestionnaires. Tomber de rideau le 13 ou 14 juillet ? En scène, il ne reste qu’un seul acteur : Nicolas Sarkozy. Le Président peut encore demander des études à l’inspection des finances, vu que le coût de l’aménagement des bureaux doit être nul pour l’Etat. Ou en tirer sa tirade de la Fête nationale.
Vincent Noce - Libération du 11 juillet 2011