Par Vincent NOCE - Libération du mercredi 28 février 2007Après huit années de procédure, la justice a tranché dans «l'affaire Sésostris», en approuvant la contestation par François Pinault d'une vente à Drouot devenue célèbre sous ce nom.
Comme prévisible, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait donné tort à l'entrepreneur.
En 1998, son épouse, Maryvonne Pinault, avait acheté une statue censée représenter le pharaon Sésostris III du Moyen Empire, pour l'offrir au Louvre, auprès duquel elle avait demandé conseil la veille.
La statue est adjugée pour un million d'euros, un prix jamais atteint pour une pièce archéologique en France.
Une semaine plus tard, Libération révélait l'oeuvre considéré comme un «faux grossier», par Dieter Wildung, directeur du musée égyptien de Berlin, spécialiste mondial de la statuaire du Moyen Empire. Il la connaissait bien pour avoir refusé de l'acquérir pour son musée. La statue portait alors des hiéroglyphes maladroits (poncés depuis), qui à son avis «signaient la contrefaçon». Elle avait ensuite été proposée en vain aux musées de Bâle et de Cleveland, et refusée à la foire des antiquaires de Bâle.
Trois mois avant la vente, le professeur Wildung était lui-même venu à Paris pour apporter ces renseignements à l'expert de Drouot, Chakib Slitine. Pourtant, le catalogue ne faisait nulle mention de cet avis. Par la suite, d'autres grands égyptologues vont dénoncer le faux, comme les professeurs Yoyotte, à Paris, ou Maree, du British Museum à Londres. Un laboratoire de Bordeaux a décelé des traces de disque sur le granit et des particules incrustées d'alliages métalliques d'outils du XXe siècle.
Le commissaire-priseur et l'expert faisaient alors valoir que d'autres égyptologues défendaient la statue. Juridiquement, pourtant, l'affaire semblait entendue, dans la mesure où une vente d'oeuvre d'art est considérée comme nulle dès lors qu'un doute sérieux pèse sur son authenticité.
Cependant, la défense des Pinault allait multiplier les maladresses. Une expertise judiciaire fut notamment, et étrangement, confiée à deux conservatrices du Louvre. Mesdames Delange et Desroches Noblecourt adoptèrent un raisonnement tarabiscoté : certes, la statue cumulait anomalies et anachronismes, certes le visage ne correspondait pas aux effigies connues du souverain, mais il devait s'agir d'un hommage posthume, unique en son genre dans l'Antiquité égyptienne.
Cette seule indication suffisait à la cassation, puisque la vente doit «garantir à l'acheteur que cette oeuvre a été effectivement produite au cours de la période de référence», en l'occurrence la dynastie du pharaon.
Plus fondamentalement, la Cour a jugé que les Pinault ont été victimes de cette succession d'incidents, à commencer par les informations incomplètes ou erronées portées au catalogue. Un signe pour les ventes d'art en France.