Il aura fallu dix ans aux époux Pinault pour obtenir l’annulation de la vente d’une statue contestée du pharaon Sesostris III à Drouot. Hier, la cour d’appel de Paris a condamné les organisateurs de la vente à rembourser les Pinault, au motif que la statue était postérieure au règne du pharaon. Fait exceptionnel, par deux fois ladite cour a salué le rôle joué par Libération pour mettre au jour ce qui s’est avéré être une embrouille pharaonique.
Cette décision était attendue depuis que la cour de cassation avait posé les principes de la dispute. «Les professionnels ont obligation de s’informer et d’informer des éléments de contestation quant à l’authenticité» d’une œuvre d’art, avait prescrit l’avocat général devant la cour. Il avait ainsi dénoncé les «manœuvres illicites» opérées selon lui par l’expert et le commissaire-priseur pour cacher l’origine douteuse du pharaon.
Contrefaçons.
En 1998, Maryvonne Pinault avait acquis aux enchères, pour un prix record (près de 800 000 euros), cette sculpture censée représenter ce grand souverain, dans l’intention d’en faire don au Louvre. Une semaine plus tard, Libération publiait l’avis du plus grand spécialiste de la statuaire du Moyen Empire, le directeur du musée de l’Antiquité égyptienne de Berlin, Dietrich Wildung, déclarant qu’il s’agissait d’un faux grossier. On apprenait qu’elle avait été publiée dans un catalogue de contrefaçons, proposée en vain aux musées de Berlin, Bâle et Cleveland, et refusée à la foire des antiquaires de Bâle…
Aucun de ces renseignements ne figurait au catalogue. Or, Wildung lui-même était venu à Paris trois mois avant la vente pour en informer l’expert de Drouot, Chakib Slitine. Dans un premier temps, François Pinault n’a pas obtenu gain de cause. Les juges s’en sont tenus à un raisonnement extravagant, découlant de l’expertise judiciaire conduite par deux conservatrices du Louvre, Christiane Desroches-Noblecourt et Elisabeth Delange. Elles admettaient que la statue cumulait erreurs et anomalies, que le visage n’était pas ressemblant, et qu’elle ne pouvait en aucun cas dater du règne du pharaon. Mais elles en déduisaient qu’elle était un «chef-d’œuvre unique», une «effigie posthume».
Démentis.
Cet avis devait créer une réelle émotion dans la communauté scientifique, aggravée quand Mme Desroches-Noblecourt lâcha l’information selon laquelle Mme Delange elle-même avait conseillé à Mme Pinault d’acheter la statue la veille de la vente. Slitine confiait à son tour avoir reçu un avis favorable de cette conservatrice. En dépit de ses démentis embarrassés, jamais elle n’aurait dû accepter de signer une expertise judiciaire (facturée 50 000 euros, finalement payée 35 000 après contestation). Par la suite, les études en laboratoire et les avis scientifiques se sont multipliés pour qualifier l’objet de faux récent.
Vincent Noce - Libération du 28 janvier 2009