Le conseil d’administration de Drouot Enchères a été convoqué en urgence au début de cette semaine pour examiner la situation de son président, Claude Aguttes, après sa suspension temporaire d’activité par l’autorité de régulation. Le commissaire-priseur avait annoncé jeudi à Libération.fr qu’il remettait son mandat entre les mains du conseil, après avoir été interdit de vente deux mois pour avoir contrevenu aux dispositions contre le blanchiment.
Piste. Tout part de la vente d’un paysage du XIXe siècle, le Vacher. Adjugé à Drouot pour 37 000 euros le 31 octobre 2007, il avait été attribué par un expert spécialisé dans la vente de peintures russes, Dan Coissard, à Yvan Chichkine. Cet artiste académique de Saint-Pétersbourg a suivi le mouvement des Ambulants, qui sillonnaient la campagne pour représenter le peuple et exposer leurs tableaux dans les villages.
L’acheteuse a eu des doutes sur son authenticité. Elle a engagé une procédure devant le tribunal de Nanterre, qui ne l’a pas suivie. Mais elle avait aussi saisi le conseil des ventes, qui s’est trouvé engagé sur une autre piste. Le procureur n’a en effet pas réussi à établir la provenance du tableau. Première surprise, il avait été mis en vente par une société au Luxembourg, Art Limited, dont le «représentant» n’est autre qu’un collaborateur du cabinet Coissard, Frédéric Thut. L’expert a cependant démenti que ce tableau lui appartenait, ce qui n’aurait pas été très déontologique. Il provenait «d’un tiers, qui souhaitait l’anonymat, pratique courante», souligne-t-il. Mais qui ? L’enquête «n’a pas permis de l’établir avec certitude», note le rapport déposé devant le conseil.
L’enquêteur a eu la surprise de trouver une succession d’intermédiaires dans des destinations exotiques : une Mme Badakian, puis une société Barko, au Liechtenstein, «dont l’identité fut par la suite démentie», pour finir par «un certain M. Badian, homme d’affaires autrichien résidant aux Barbades». Avec pour corollaire le soupçon d’une autre «pratique courante» du marché, qui a plus d’une ficelle à son arc : vous déposez un tableau à Paris… et encaissez au Luxembourg, voilà un transfert propret !
La consternation régnait vendredi à l’hôtel des ventes parisien, où Aguttes est très apprécié pour son charisme. Certains estimaient sa démission inévitable, après un «manquement grave à ses obligations», selon les termes de la suspension. Lui-même trouve le jugement sévère, même s’il reconnaît qu’il aurait dû mieux s’assurer de l’identité du vendeur. D’autres parlent de «simple faux pas», jugeant qu’il est «la victime collatérale d’une manœuvre dont il n’est manifestement pas responsable».
Avertissement. Très mobilisé contre le blanchiment, dans un milieu d’antiquaires et de marchands où «l’optimisation fiscale» sur un marché planétaire est le sport le plus répandu, le conseil entend ainsi lancer un avertissement global à la profession. Ses moyens sont cependant limités et ses sanctions, symboliques. Il n’a aucune autorité sur les experts, qui échappent à toute réglementation. Or, pouvant cumuler leur statut avec celui de marchand, ils sont les principaux apporteurs d’affaires des commissaires-priseurs.
Profession en roue libre, trafics d’objets volés (l’instruction est toujours en cours à Drouot), jugements erratiques légitimant la vente d’objets contrefaits, soupçons de «blanchiment», le marché de l’art est de nouveau dans la tourmente. Après avoir promis de remettre de l’ordre, le gouvernement Sarkozy a fait tout le contraire, laissant les scandales éclabousser la place parisienne.
Vincent Noce
Libération du 20 juillet 2012