Le site eBay a perdu un client.
Et la galerie sise au 6, rue de la Grange-Batelière, à Paris (IXe), a été mise sous scellés. Au début du mois, les enquêteurs de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) ont interpellé le patron, Dominique Weitz, et perquisitionné son stock, à Maisons-Alfort, dans le Val-de-Marne. Le 5 avril, il a été mis en examen pour contrefaçon, tromperie et escroquerie par Dominique Bibal-Sery, juge du pôle financier puis libéré sous caution de 80 000 euros, précise-t-on au Palais de justice.
Radar. La supercherie a été découverte grâce à un fan de l’école d’Ecouen, dont Mary Cassatt fit partie. Ce cercle cosmopolite regroupait au XIXe siècle des paysagistes installés autour d’un élève de Delaroche alors réputé, Pierre Edouard Frère. Cet amateur avait tenté d’enchérir sur un tableau anonyme proposé à Drouot, sans succès. Sur eBay, il eut la surprise de redécouvrir la même toile pour sensiblement plus cher, signée Edouard Frère, vendue par un professionnel, Dominique Weitz, qui a diffusé beaucoup de peintures de cette période.
Alertée, l’OCBC est rapidement intervenue à sa boutique, où elle a saisi trois autres tableaux portant une signature falsifiée. L’antiquaire a avoué qu’il achetait à Drouot des œuvres auxquelles il ajoutait une signature, qu’il revendait alors, toujours sur eBay. «Autant que nous sachions, il traitait de petits maîtres, il faisait bien attention à rester en-dessous du radar», confie un proche de l’enquête. En revanche, il compensait, puisqu’il aurait placé autour de 1 500 lots sur le site de ventes aux enchères. On trouve, vendus à son nom, une marine arborant la signature d’Ulysse Buttin, une suite de dessins portant maladroitement celle d’Anquetin, une sanguine attribuée à Emile Wattier (pour 2 780 euros), une peinture orientaliste signée Claude Marks, sans compter nombre de gravures et de photographies anciennes.
Les historiques sont flatteurs :
Cette lithographie d’une caricature de Poulbot, portant une signature au crayon bleu, est affichée «provenant de la famille de l’artiste». Ce portrait photographique du banquier Péreire par Nadar est décrit comme provenant de «la famille d’Orléans». Et l’on ne sait plus très bien ce qui serait exact dans la description d’un dessin de la maison provençale du peintre Felix Ziem signé Honoré Viguier. Le défilement des œuvres recense tous les clichetons du goût petit-bourgeois. Une «délicieuse peinture» de «jeune femme légèrement vêtue de dentelle», supposément due au Lyonnais Pierre-François Bouchard, ami des Flandrin, est «présentée comme sincère et ancienne, et authentique». Une «agréable peinture» représentant un mousquetaire, annoncée comme étant de Gustave Barrier, est «présumée» comme «le portrait de d’Artagnan». Cela n’engage à rien. «L’ancienneté et l’authenticité est [sic] absolument garantie. Aucun retour sans motif grave et fondé ne sera pris en considération.»
Regain.
Tout n’est pas forcément faux, évidemment. Un travail de fourmi attend donc les spécialistes de l’OCBC pour en déterminer les proportions et retrouver les victimes. Cependant, les professionnels s’alarment du regain des contrefaçons diffusées sur Internet, où les ventes se réalisent sans expertise ni garantie. Chef de l’OCBC, Stéphane Gauffeny appelle ainsi les sites à exercer une surveillance accrue des transactions. En attendant, Dominique Weitz, a été suspendu d’exercice.
Vincent Noce - In Libération du 18 avril 2013