L’Hôtel de la marine, somptueux bâtiment édifié place de la Concorde, à Paris, sur les plans de Jacques-Ange Gabriel sous le règne de Louis XV, vient encore de changer de destinataire. Comme l’a révélé le Monde, le gouvernement prévoit de le confier au Centre des monuments nationaux, qui gère déjà une centaine de sites en France comme le Mont-Saint-Michel, l’Arc de triomphe ou le Panthéon. Son président, Philippe Bélaval, a été chargé de finaliser une série de propositions pour le réaménagement et l’exploitation de ce lieu historique.
Giron.
Depuis que Nicolas Sarkozy a prévu, en 2007, de déménager l’état-major de la marine dans le nouveau QG de la défense nationale du quartier Balard (Paris XVe), l’hôtel a changé plusieurs fois de locataires. Retardée, la construction du site Balard devrait s’achever en 2015. Dans le plus grand secret, Hervé Morin, alors ministre de la Défense, avait prévu de confier les lieux à un promoteur d’hôtellerie de luxe, Alexandre Allard. Celui-ci avait embauché comme intermédiaire un grand ami de Morin, l’ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, dont le nom est cité dans plusieurs affaires troubles de financement de l’ancienne majorité.
La révélation de cette partie de billard par Libération avait suscité un tel scandale que Nicolas Sarkozy avait mis brutalement fin à l’opération, après la sortie de Morin du gouvernement. Le maintien de ce bâtiment historique dans le giron du patrimoine public était alors acté. Restait à savoir quoi en faire…
Une commission présidée par Valéry Giscard d’Estaing reprit au vol une proposition d’Henri Loyrette, alors président du Louvre. Le gouvernement décida de céder les clés au Louvre, qui manque toujours d’un lieu décent d’exposition.
Le feuilleton a rebondi avec l’arrivée au gouvernement d’Aurélie Filippetti. Celle-ci a très vite annulé plusieurs projets de son prédécesseur, dont celui-ci, le ministère de la Culture affirmant nettement sa volonté de mettre le holà aux ambitions d’Henri Loyrette. Depuis, le Louvre s’est trouvé un nouveau président, Jean-Luc Martinez, qui se montre décidé à recentrer son action sur le musée proprement dit.
C’est dans ce paysage reconfiguré qu’a su s’insérer Philippe Bélaval, décidément très demandé (c’est à lui que François Hollande a confié la mission de réfléchir à l’avenir du Panthéon, à laquelle il tient beaucoup). L’homme connaît bien les lieux : il avait été en première ligne lors de la polémique. A la direction du patrimoine, il avait concouru à la résistance discrète à l’opération commerciale prévue par Hervé Morin.
Vocation.
Depuis son arrivée au Centre des monuments nationaux, il a également pacifié une institution chahutée par plusieurs années de gestion erratique. Le CMN a pour lui son appareil et son expérience. Bélaval nourrit l’espoir d’ouvrir au public les galeries historiques, qui ont conservé leur ameublement, dès le printemps 2015. Une bonne partie des 20 000 mètres carrés pourrait être louée, une autre partie servant à la Cour des comptes, qui manque de place. Personne, cependant, n’a encore évoqué l’épineuse question du coût de la restauration du palais, à un moment où le gouvernement se refuse à tout nouveau chantier culturel d’envergure.
L’aménagement est complexe, car si le patrimoine a été remarquablement protégé par les officiers, les lieux ont été sectionnés en bureaux (plus de 550), répartis autour de trois cours intérieures. L’hôtel pourrait ainsi renouer avec sa vocation première, puisqu’il avait abrité les collections royales, visitables par le public avant que les marins ne s’y installent, dans la débâcle de 1789.
Vincent NOCEIn Libération du 13 janvier 2014