Vente YSL-Bergé
Plus de 25 records battus et plus de 373 millions d'euros |
Décrite comme «la vente du siècle», la dispersion de la collection d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé comptait une trentaine de chefs d’œuvres parmi les 730 lots présentés à la vente sur trois jours. La vente a rapporté au total 373,5 millions d'euros, soit bien plus que son estimation de départ évaluée entre 200 et 300 millions. Quelque 30.000 personnes se sont rendues pendant le week-end sous la nef du Grand Palais, à Paris, pour voir les œuvres exposées avant leur mise en vente. L’Etat français a également profité de cette vente: il a acquis des oeuvres d'art pour un montant total de 13,135 millions d'euros, a annoncé mercredi soir la ministre de la Culture Christine Albanel. La première journée du 23 février a connu plusieurs records. Une sculpture de Costantin Brancusi "Madame L.R.", estimée à un peu plus de 20 millions, s'est enlevée 28,1 millions, frais inclus, vendue à un acheteur anonyme qui enchérissait au téléphone. Autre record mondial, pour Les Coucous, de Matisse, assez surprenant au regard de son estimation initiale, entre 12 et 18 millions d'euros, qui se sont envolés à 32 millions, prix marteau (hors frais). Records encore pour le "ready made" de Marcel Duchamp, un flacon de parfum dans son emboîtage, baptisé par l'artiste Belle haleine-Eau de voilette, à 7,9 millions d'euros hors frais, et pour Le Désespoir de Pierrot, de James Ensor, à 4,4 millions, hors frais, ou encore pour Composition avec bleu, rouge, jaune et noir, de Piet Mondrian, à 19,2 millions hors frais (estimée 10 millions). Préemptions de l'Etat : Ritornante, de Giorgio de Chirico, qui devrait donc intégrer les collections nationales. A charge pour Beaubourg de réunir les 9,8 millions d'euros obtenus lors de la vente. L'Etat s'est de la même façon porté acquéreur, pour le Musée d'Orsay, d'un tableau d' Edouard Vuillard, "Les Lilas", à 320 000 euros et d'une œuvre de James Ensor, "Au conservatoire", pour 480 000 euros. Enfin la France a également acheté trois pièces destinées au musée national de la Renaissance au Château d'Ecouen: une plaque en émail de Limoges du XVIème siècle représentant Paris, par Léonard Limosin, et deux plaques en émail de Limoges du XVIème siècle représentant Arthur et Josué, par Martial Ydeux. Seule fausse note: un tableau cubiste de Picasso, Instruments de musique sur un guéridon, vedette de cette vente, estimé à 25 ou 30 millions d'euros, n'a pas trouvé preneur (la meilleure offre, à 21 millions, étant en-deçà du prix minimum demandé). «Je suis très satisfait de cette première journée, qui a dépassé toutes nos espérances, a dit Pierre Bergé peu après, et en plus j'ai gagné un Picasso...»
La deuxième journée de la vente se solde par un total de quelque 101 millions d'euros, après la vente de tableaux anciens (22,2 millions) et d'orfèvrerie (19,8 millions) qui s'ajoutent aux 206 millions d'euros de la veille, déjà un record mondial pour une collection privée Du côté des belles ventes, les quinze miroirs aux branchages de Claude Lallane ont atteint au cours de la troisième et dernière vacation 1,6 million d'euros un vase de Jean Dunand est parti à 220 000 euros tandis qu'un autre vase au serpent du même artiste s'est envolé à 270.000 euros, soit neuf fois son estimation haute. Le fauteuil aux dragons d'Eileen Gray (estimation entre 2 et 3 millions d'euros) a été adjugé 21,9 millions d'euros, un record mondial pour l'artiste et pour un meuble du XXe. Ce petit fauteuil de cuir aux accoudoirs rouges en forme de dragons, réalisé entre 1917 et 1919, a été acquis par la galerie parisienne Robert et Cheska Vallois, spécialisée dans les années 1920 et 1930, pour «un collectionneur extraordinaire» dont le nom n'a pas été révélé. Parmi les plus belles enchères tombées lors des deux premières vacations, une toile de Géricault, un portrait d' Alfred et Elisabeth De Dreux-,estimée entre 4 et 6 millions d'euros, a trouvé preneur à 8 millions d'euros, soit un record mondial pour cet artiste. Une toile de Franz Hals (école flamande) a trouvé acquéreur à 3,1 millions d'euros (estimée entre 800.000 et 1,2 million d'euros). Modèles en agathe, en or et nacre ou en coquillage, plusieurs tabatières ont connu également un grand succès. Autre belle vente, un Gainsborough, Portrait de Giusto Ferdinando Tenducci lisant une partition, s'est envolé à 1,9 million d'euros (estimation 400.000 à 600.000 euros). Même chose pour un Arnold Bocklin, Ulysse et Polyphème, estimé 20.000 à 30.000 euros, qui a trouvé preneur à 340.000 euros, un record mondial pour une oeuvre sur papier de cet artiste. Modeste, le Musée du Louvre a acquis une boîte à portrait de Louis XIV ornée d'une miniature de Jean Petitot pour 400.000 euros. Le lot 93, une tapisserie de Sir Edward Coley Burne-Jones, L'Adoration des Mages, a été ôté de la vente, Pierre Bergé a préféré l'offrir au Musée d'Orsay.
L'un des clous de cette troisième journée de vacation a été cette tête représentant Janus (première partie du XVIIe siècle) qui a trouvé preneur à 1,75 million d'euros pour une estimation de 100.000 à 200.000 euros. Même chose pour un pot à bouquet en cristal de roche, vermeil et rubis (école de Milan), estimé entre 100.000 et 150.000 euros, qui s'est envolé à 440.000 euros. Deux dents de narval de l'Arctique (fin du XIXe siècle) estimées entre 30.000 et 50.000 euros, sont parties à 180.000 euros, alors qu'un Christ en croix (Italie, XVIIe ou XVIIIe) a été adjugé 80.000 euros, soit plus de dix fois son estimation. Une suite de quatre bustes allégoriques représentant les quatre continents (XVIIIe siècle) a plus que doublé son estimation haute de 300.000 euros, trouvant preneur à 700.000 euros. Enfin, un fragment de tête de Christ originaire des Philippines espagnoles (XVIIe siècle) a plus que doublé son estimation haute, s'adjugeant 44.000 euros. Parmi les 270 lots dispersés mercredi après-midi, on comptait notamment une collection pléthorique de 76 camées, pièces très prisées par Yves Saint Laurent et globalement adjugées selon les fourchettes de leurs estimations. Si ce n'est cette pièce, composée de sept camées ovales polychromes représentant des portraits masculins, partie à 80.000 euros (estimation 18.000 à 22.000 euros), ou cet autre camée en opale représentant la déesse Isis, qui s'est envolé à 50.000 euros (estimation 5.000 à 7.000 euros). La vente de deux pièces d'antiquités chinoises, une tête de rat et une tête de lapin, d'une hauteur d'une quarantaine de centimètres, provenant du sac du Palais d'été à Pékin par des soldats français et britanniques en 1860, ont été adjugées pour un montant de 15,7 millions d'euros chacune, sans qu'on connaisse l'identité du ou des acheteurs qui ont remporté les enchères au téléphone. Le rat et le lapin ont fait l'objet d'une demande de restitution de la part de la Chine, et d'un procès devant le tribunal des référés. Les juges avaient été saisis par l'Association pour la protection de l'art chinois en Europe (Apace), installée à Paris, qui réclamait leur mise sous séquestre. L'un des avocats de l'association a déclaré que cette procédure était "une action symbolique", visant à "interpeller l'opinion publique sur le sort de nombre d'œuvres chinoises volées dans le passé". Le tribunal a rejeté, lundi 23 février, quelques minutes avant le début de la première vente, la demande. Et Pierre Bergé a réitéré une déclaration précédente : "Je suis absolument prêt à donner ces deux têtes à la Chine, tout ce que je demande à la Chine en contrepartie est de donner les droits de l'homme, la liberté au Tibet et d'accueillir le dalaï-lama." Le produit de cette vente servira à financer de manière permanente la fondation Yves-Saint-Laurent. Le reste ira à la recherche contre le sida et à des oeuvres caritatives.
|