Cela devait arriver un jour. La France, qui a été jusque dans les années 50 le centre du marché de l’art mondial, a perdu la troisième place qu’elle parvenait quand même à maintenir depuis : elle est désormais surpassée par la Chine. Comme ce marché, dépassant les 4 milliards d’euros, a doublé en un an, ce n’est qu’un début. Nous sommes largués.
Prémonitoire. Ce constat a été révélé à Libération, en marge de la foire des antiquaires de Maastricht, par une économiste spécialisée, Clare McAndrew. Il y avait eu un signe prémonitoire, sans que personne ne s’en émeuve : l’année dernière, Sotheby’s et Christie’s ont vendu deux fois plus à Hongkong qu’à Paris (1). Néanmoins, en ajoutant ses antiquaires, Drouot et les commissaires-priseurs, la France restait un pôle de référence. «En intégrant les galeries et les nouvelles sociétés de ventes de Pékin ou Shanghaï, selon les toutes dernières statistiques, la Chine dépasse la France», dit cette économiste, auteur d’un rapport de référence sur la question, financé par Axa. Dans ce partage du globe, notre pays doit être tombé à 5 % et la Chine passée à 6 %. Elle est devenue le deuxième marché de l’art contemporain.
Dopé par des ventes phénoménales, New York a conforté son leadership : 46 % du marché mondial. De 2002 à 2006, l’Amérique s’est ainsi encore renforcée de 2,4 points. L’Europe a reculé de 6,3 points, se faisant donc aussi grignoter par les marchés émergents. Pour Clare McAndrew, marchands et collectionneurs «redoutent le Vieux Continent pour ses taxes et droits dérivés, mais également ses tracasseries ; c’est tout un état d’esprit qui est en cause».
Ce qui est particulièrement vrai de la France. Elle ne manque pourtant pas d’atouts, avec la richesse de son patrimoine artistique, l’attractivité de Paris, la diversité de ses galeries et sociétés d’enchères. Si Christine Albanel a lancé une réflexion sur la question, sa marge de manœuvre sera réduite par les autorités auxquelles elle aura à se confronter, du Budget à la Commission européenne.
Tous auraient pourtant intérêt à une refonte d’ensemble du système - mêmes les Britanniques perdent des points dans cette guerre planétaire. Le marché de l’art représente 300 000 emplois en Europe, dont 220 000 directs. «C’est l’exemple même de la production qu’on souhaite développer, souligne-t-elle, une économie du savoir, cosmopolite, employant des jeunes, d’un haut niveau d’éducation, très ouvert aux femmes.» Une activité à fort revenu culturel, d’image, de tourisme. Sans compter les rentrées fiscales et financières, d’un marché qui continue de battre tous les records : l’année dernière autour de 38 millions d’œuvres d’art ont changé de main dans le monde, frôlant les 50 milliards d’euros, du jamais vu.
Porteur. Régulièrement, depuis des années maintenant, des journaux comme l’International Herald Tribune, le Point, ou récemment une société appelée ArtIndex, annoncent un krach. Et, non moins régulièrement, ils sont démentis par les faits.
En réalité, même dans les turbulences des marchés financiers, celui de l’art reste fondamentalement porteur, tout simplement grâce aux afflux de cash : nouveaux riches russes, chinois ou indiens, mais aussi Américains ayant réalisé leurs placements boursiers ou Européens tirant profit de la baisse du dollar…
A Maastricht, les Américains étaient moins présents, les affaires ont été un peu plus longues à discuter. Mais elles se sont faites grâce aux Européens, aux Russes, et même aux Latino-Américains. C’est la grande révolution : le marché s’est démultiplié. Hier centralisé autour de trois capitales, il est en complète redistribution.
(1) Ces multinationales exportent, pour les vendre à New York ou Londres, près du double d’œuvres en valeur qu’elles n’en vendent à Paris. Cette hémorragie du patrimoine est la face cachée de ce bouleversement sismique engloutissant la France.
Vincent Noce -
Libération du 12 mars 2008 >>