La Cour des comptes vient d’adresser un avertissement au nouveau gouvernement, sous la forme d’un rapport (lire en PDF) réclamant une haute autorité pour rétablir la confiance dans le marché de l’art (1). «La nécessité d’un pouvoir régulateur fort se fait sentir, plaide ce document dont Libération a pu obtenir copie, ainsi qu’en témoignent notamment les incidents liés à l’affaire des commissionnaires de Drouot.» Référence au scandale qui éclabousse l’hôtel de ventes aux enchères depuis la mise au jour des trafics organisés sous son toit.
Dans cette débâcle, la Cour voit l’impuissance du Conseil des ventes, mis en place il y a neuf ans en tant que gendarme de la profession : «il s’est trouvé démuni des moyens d’action adéquats face aux risques qui se présentaient», en dépit des avertissements dont son président, Christian Giacomotto, «s’est fait l’écho à plusieurs reprises». Même s’il reprend certaines réserves sur sa gestion, l’exposé opère ainsi un renversement par rapport à un premier relevé d’enquête, qui se montrait beaucoup plus sévère envers cette institution (Libération du 5 décembre).
Rôle.
Il confirme en revanche sa critique des gouvernements, qui ont laissé pourrir la situation, et surtout de la chancellerie, qui a tout fait pour étouffer le Conseil des ventes afin de protéger les commissaires-priseurs. «Doté d’un statut incertain», le Conseil des ventes, dont plus personne ne voit à quoi il sert, devrait donc voir son rôle clarifié par la loi : «Laisser les choses en l’état reviendrait à consacrer la faiblesse de l’organisme à un moment où une autorité de régulation apparaît nécessaire.»
La Cour conseille de l’autoriser à ouvrir des procédures de son propre chef et à sanctionner tous les acteurs, des manutentionnaires aux experts, qui échappent à son pouvoir alors qu’ils se trouvent au cœur de nombre de petites tricheries et de grands scandales.
Le rapporteur ne prend ainsi pas de gants pour souligner que le dispositif visant à réglementer la profession des experts se solde par «un échec complet». Il suggère aussi que tous ces intervenants soient dotés de chartes de déontologie, dont les manquements pourraient être sanctionnés. A défaut, le gouvernement donnerait la priorité à «la défense des professionnels» sur celle «des consommateurs».
Capital.
Cependant, cet avis se heurte à la résistance du corps. Président d’un syndicat d’organisateurs des ventes aux enchères, le Symev, Hervé Chayette reconnaît que «l’affaire Drouot a montré la nécessité de mettre en place un système législatif pour structurer le secteur», favoriser sa «modernisation, et rétablir l’ordre et la sécurité des échanges, afin de restaurer la confiance». Mais, à ses yeux, le mouvement doit venir de l’intérieur, notamment par l’ouverture du capital de la société de Drouot. Il rejette ainsi l’idée d’une «instance régulatrice omnipotente, investie de pouvoirs de contrôle hors de propos» et d’une «réglementation excessive qui risquerait de fragiliser le secteur, et de nuire à sa compétitivité sur un marché complètement mondialisé».
Toutes ces intentions butent cependant sur la résistance des commissaires-priseurs regroupés à Drouot, qui ont déjà fait savoir qu’ils n’envisageaient aucunement de changer leurs règles de fonctionnement ou d’ouvrir leur capital.
Et dans ce brouhaha, au gouvernement, c’est silence radio.
Vincent Noce - Libération du 8 décembre 2010