Où sont passées les peintures du musée Picasso ?
A Aix, elles figurent à l’état de traces : un seul Picasso, deux Cézanne que l’artiste avait acquis. Les organisateurs disent avoir sollicité une dizaine d’emprunts. Trois tableaux sur 115 de la plus grande collection publique, c’est maigrelet.
La famille en a confié une soixantaine, les deux tiers provenant de la seule collection de Jacqueline. Ce contraste est-il normal ? Et les autres ? Quand le chef du département des peintures du Louvre a voulu confronter, à Reims, Corot à la modernité ? C’est une plainte récurrente depuis des mois, en France comme à l’étranger : il serait quasi impossible d’emprunter au musée Picasso ; qui ne répondrait même plus aux demandes, quand bien même elles émanent des plus grandes institutions, et concernent des pièces en réserves.
Les préparatifs de Renoir, en septembre au Grand Palais, ont ainsi tourné au bras-de-fer.
La directrice, Anne Baldassari, déplorant urbi et orbi «la pauvreté» de sa maison, certains en déduisent qu’elle aurait pris ses tableaux en otage pour faire pression sur l’administration. Selon la direction des musées de France, qui se veut rassurante, «les retards sont désormais apurés».
Questionnée par Libération, l’intéressée nie tout «accaparement pour motifs personnels d’une collection publique» : «En 2008 et 2009, nous avons consenti 2 325 prêts.»
Chiffre notable, certes, pour un ensemble comptant 5 000 œuvres, dont 3 000 sur papier, par nature fragiles. En réalité, la dame inclut les départs, par centaines, pour ses propres expositions. Plus de 250 photographies à Munich pour «Picasso et la photo» ; 95 pour «Picasso et les Maîtres» ; 300 prêtées aux organismes qui ont contribué à cette exposition - puisque le système vit aujourd’hui du troc.
Baldassari promet désormais au Grand Palais six Renoir, sous réserve d’aval des ayants droit. En effet, la sortie des œuvres de la collection de Picasso, autres que les siennes propres, est restreinte par une clause passée il y a trente ans avec les héritiers. Empêchant, en principe, les départs pour l’étranger : le style très perso d’Anne Baldassari.
Pour beaucoup, elle s’est identifiée au musée au point de faire le vide autour d’elle. Un collègue la défend: «Les conservateurs la détestent parce qu’elle n’est pas dans le moule. En vérité, elle se bat comme un beau diable pour trouver des financements, alors même que le ministère ne lui fait aucun cadeau.»
En effet, il a été demandé à son musée, qui ferme le 23 août pour travaux, de financer le chantier.
Anna Baldassari a ainsi dû multiplier les expositions lucratives un peu partout dans le monde, dégageant plus de 12 millions de recettes depuis 2007. Elles sont aujourd’hui inévitables, mais il faut bien à un moment poser une priorité, entre mercantilisme et intérêt culturel.
Vincent Noce in Libération du 30 mai 2009