Le procès va faire du bruit sur le marché de l’art. Renaud van Ruymbeke vient d’ordonner le renvoi en correctionnelle du principal expert en archéologie de la place, Chakib Elidrissi Slitine, et d’un antiquaire parisien, Michel Cohen, en compagnie d’un truand tunisien en fuite et d’un médecin niçois accusé d’escroquerie à l’égard du Crédit municipal de Paris (CMP).
Pillage, contrebande, blanchiment… La mise aux enchères en 2004 de 24 antiquités avait ouvert un feuilleton laissant imaginer tous les trafics possibles dans le domaine de l’art. Néanmoins, dans son ordonnance du 27 mai, le juge a laissé tomber un pan de l’enquête, ne retenant que l’escroquerie. Il dénonce ainsi une fraude destinée à retirer près de 3 millions d’euros d’emprunts, en gageant des pièces surévaluées selon lui avec la complicité de l’expert de la vente, Chakib Slitine.
«Naïveté». L’enquête est aussi remontée à des pillages en Italie. Des carabiniers du patrimoine sont venus travailler avec leurs collègues à Paris. Dans la foulée, ils ont annoncé le démantèlement d’un réseau de trafiquants dans les Pouilles. Cependant, le juge a estimé manquer d’éléments sur cette enquête, qui se poursuit sur place.
Présentant une «collection exceptionnelle» de famille du «Dr K», le catalogue avait vite jeté le trouble. Les enquêteurs ont établi qu’elle était en fait formée d’objets récemment achetés auprès d’antiquaires parisiens. Ils ont fini par démêler un réseau d’«hommes de main» se chamaillant sans cesse pour des commissions ou des dettes. Karim Aiachi, repris de justice réfugié en Tunisie, se faisant appeler Jean-Jacques Leroy, est tenu pour «la cheville ouvrière de l’opération», qu’il aurait montée pour le compte du fameux docteur, médecin légiste présenté par son défenseur, Me Bernard Ginez, comme la«victime de marchands véreux». A ses yeux,«s’il y a survalorisation, elle a été montée par les organisateurs de la vente au CMP». Au cœur du soupçon, un Dionysos en bronze estimé plus de 3 millions d’euros, adjugé 1,8 million. Et dénoncé désormais comme faux dans une procédure parallèle (Libération du 21 novembre 2008).
Le juge reproche à l’antiquaire Cohen d’avoir vendu certaines pièces et délivré des attestations. Pour son défenseur, cet octogénaire a tout au plus péché par «naïveté». «Il a donné un avis sur des objets qui lui étaient présentés. Il a pu se tromper, mais rien ne lui permettait d’imaginer une machination. Il n’est pas l’expert du Crédit municipal», poursuit-il, pointant le doigt vers Slitine. La Brigade financière a mis ce dernier en difficulté en découvrant deux chèques d’un montant total de 25 000 euros, dont les fonds proviennent du malfrat tunisien.
Le défenseur de l’expert, Me Matthieu Gibert, renvoie le compliment : «Slitine a fait confiance au certificat délivré par Cohen, dont on a appris depuis qu’il pouvait être corrompu.» Il évoque aussi des avis favorables à l’authenticité du bronze au vu de sa corrosion. «Comment présenter Slitine comme complice d’un médecin qu’il n’a jamais rencontré ?», poursuit Me Gibert, qui entend expliquer les 25 000 euros par d’autres expertises, délivrées plus tôt.
Estimation. Me Gibert assure qu’il revenait au commissaire-priseur, Me Marie-France Robert, de «fixer les prix de la vente». Celle-ci, au contraire, dit avoir protesté contre l’estimation«inhabituelle et très excessive»du Dionysos, affirmant que Slitine se serait opposé à un second avis. Rappelant qu’il a été renouvelé comme expert judiciaire près la cour d’appel, son avocat s’indigne : «Comment expliquer que, pour de telles sommes, Chakib Slitine aurait pu mettre en jeu trente ans de carrière à Drouot ?» Il reviendra au tribunal de débrouiller cet embrouillamini.
Vincent Noce - Libération du 21 juin 2010 |