Inquiets de l'usage qui en a été fait, ses descendants ont saisi la justice.
La nouvelle a fait le tour de la presse américaine. Certains descendants mécontents de Peggy Guggenheim demandent au tribunal de Paris de révoquer sa donation à la Fondation new-yorkaise qui administre sa richissime collection d’art moderne dans son palais vénitien.
La cause a été plaidée mercredi 21 mai devant salle comble. Le jugement est annoncé pour le 2 juillet. Les juges auront bien besoin de ce délai pour décider si la loi américaine, française ou italienne s’applique en l’espèce. Au-delà de cette dispute technique, Mes William Bourdon et Bernard Edelman ont fait entendre la frustration de sept descendants de Peggy Guggenheim, décédée à 81 ans en 1979 en Italie où elle s’était retirée après guerre.
Riche héritière, amante de Beckett, épouse de Max Ernst, amie de Breton, Duchamp et Cocteau, elle a passé sa vie à défendre les artistes et collectionner Picasso, Miro, Magritte, Calder, mais aussi Pollock. Quelques années avant sa mort, elle a donné à la Fondation Guggenheim, créée par son oncle, sa collection ainsi que le Palazzo Venier dei Leoni, qui a accueilli 380 000 visiteurs l’année dernière au bord du Grand Canal.
UNE HISTOIRE DE LIBERTÉ... ET DE FAMILLESandro Rumney, son petit-fils né à Venise, reproche à la Fondation de mélanger les 340 oeuvres qu’elle a données à d’autres apports, dont une collection d’art contemporain reçue en 2012 des époux Schulhof. «A la dernière Biennale, dit-il outré, j’ai constaté que sur le mur du palais avait été ajoutée une plaque dédiée aux Schulhof. Après des années d’avanies, cela a été vraiment la goutte d’eau qui a fait déborder le vase». Accusant la Fondation d’avoir «souillé» son héritage, Me Bourdon a demandé au tribunal de «faire revenir l’esprit de Peggy Guggenheim dans la maison dont elle a été chassée».
Evoquant un «chien en plastique» et une oeuvre contemporaine «ressemblant à un tas oublié par un ferrailleur», il lui reproche d’avoir cédé à «la tyrannie de l’art contemporain», mettant en cause «l’intégrité» de la collection par «dérive mercantile». Son confrère a plaidé que la collection en elle-même serait une «oeuvre de la pensée», ce qui lui ouvrirait la protection du droit d’auteur.
Pour la Fondation, qui dénonce «l’outrance» de ces attaques, Mes Pierre-Louis Dauzier, Christophe Perchet et Louis-Marie Pillebout ont contesté cette idée : «Peggy Guggenheim était selon ses propres mots une art addict. Sa collection est le fruit de son goût, de sa vie et de ses rencontres. Cela n’en fait pas un auteur. Barnes, Pinault ou Saatchi ne sont pas des auteurs». Soulignant que l’acte de donation ne comportait «aucune obligation dans la disposition de l’accrochage» ni aucune autre condition, faisant état du soutien d’une autre branche de la famille, ils ont reproché aux descendants mécontents de vouloir «dicter leur loi à des conservateurs et historiens de l’art».
Les défenseurs ont invoqué «l’autorité de la chose jugée» en rappelant que les mêmes avaient perdu un premier procès à Paris contre la Fondation il y a douze ans. Un accord avait alors été conclu qui devait les associer à la vie du musée vénitien. Mais selon les plaignants, il n'a pas été respecté. Ils ne seraient plus informés, ni même invités aux vernissages. Au-delà du procès, ils entendent rappeler la Fondation au respect dû à la donatrice et à sa famille.
Vincent NoceIn Liberation du 21 mai 2014