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Chine art discount
En cinq ans, la cote de l’art contemporain chinois s’est envolée à des niveaux insensés. Avec la crise, les prix s’écroulent aujourd’hui.
<B>Chine art discount</B> La Chine est un dragon qui aime jouer avec le feu. Après le brasier qui a sinistré la finance mondiale, l’art contemporain chinois se retrouve en première ligne. Dans les capitales occidentales, le marché de l’art a su se ménager une retraite en relatif bon ordre, mais les nuages s’amoncellent au-dessus de la Chine, où la décote des tableaux, à en croire les marchands locaux, avoisine 50 %. En quelques semaines, une quarantaine de galeries ont fermé à Pékin. La galerie new-yorkaise Pace Wildenstein, qui comme son homologue Gagosian venait d’ouvrir une succursale à grands frais, renégocie son bail. Et annule une méga expo à Londres consacrée à Zhang Huan, un artiste qui joue avec violence sur le corps.

L’onde du choc a été ressentie à Hongkong dès la première vente en octobre chez Sotheby’s : 40 % des tableaux sont restés en rade, signés par des stars qu’on s’arrachait il y a peu. Lundi, chez Christie’s, le taux d’invendus est monté à 57 %, du jamais vu depuis l’ouverture de cette place. Pourtant, le cashest loin d’avoir disparu. La veille, les amateurs s’étaient arraché des caisses de grands bordeaux, allant jusqu’à payer 11 000 euros la bouteille de château-latour 1961. La peinture chinoise classique se vend toujours bien. Ou même moderne : un tableau de Zao Wou Ki, qui vit à Paris depuis 1948, a ainsi atteint un record, à 4,6 millions d’euros.

Manœuvres en coulisses

Christie’s a certes empoché un prix historique pour une des familles au triste visage de la série Bloodline de Zhang Xiaogang, à 2,6 millions d’euros. Mais, alors que les restaurants et les hôtels se dépeuplent, que les galeries se vident et que les artistes qui peinaient à répondre à la commande attendent le client, ces annonces ne suffisent pas à dissiper le doute. «Il y a encore des raretés comme ce tableau, dernier de la série, commente un galeriste londonien. Mais ce que le public ne voit pas, ce sont les manœuvres en coulisses : qui paie vraiment ? Les acquéreurs ne règlent pas, négocient des délais, ou troquent avec d’autres tableaux.» Des marchands enchérissent pour des artistes représentés dans leur stock, afin d’en soutenir la valeur. On appelle cela l’impairment test. A son tour, le monde de l’art est pris dans la financiarisation. Le contemporain a été le laboratoire de cette dérive, en raison des excès et de la part d’artificialité qui le portent. Et, nulle part, il n’y eut autant d’excès et d’artificialité qu’en Chine.

Tout s’est passé à une vitesse éclair. A la fin des années 1990, les artistes ont gagné en liberté. Ils ont obtenu le droit de s’installer en ville. Avec l’ouverture au marché occidental, leurs conditions matérielles se sont spectaculairement améliorées. Des peintres, qui pouvaient à peine se chauffer l’hiver, ont acquis de grands ateliers où ils sont entourés de dizaines d’assistants. Ancien conservateur au musée Guimet, passé à la galerie new-yorkaise Marlborough, Philippe Koutouzis a vu partir le feu d’artifice. Il s’y est intéressé parmi les premiers : «Ce marché n’existait pas il y a cinq ans. Des peintres dont personne ne connaissait le nom quelques mois plus tôt parvenaient à vendre des toiles 300 000 euros. Le moindre élève sorti d’école trouvait normal de demander des dizaines de milliers d’euros pour des fabrications sans intérêt.»

Le premier marteau sur une enchère est tombé à Pékin en 2003. La Chine ne représentait pas 1 % du marché du contemporain. Elle est montée à 24 % en 2007. Selon Clare McAndrew, économiste spécialisée à l’université de Dublin, la hausse des tableaux a frôlé les 1 000 % en 2006. En 2008, la moitié des 25 artistes les plus cotés dans le monde sont chinois, Zhang Xiaogang étant placé deuxième, devant Jeff Koons. Au printemps, à Hongkong, les records pleuvaient, crevant le plafond des 75 millions de dollars hongkongais (6,8 millions d’euros). Un hebdomadaire titrait «L’art : numéro un des industries aux superprofits». Une composition de Liu Xiaodong a fait huit fois la culbute. Achetée de la main à la main 1 million de dollars début 2006, cette scène, évoquant le déplacement des villageois pour le barrage des Trois-Gorges, a été adjugée 2,7 millions à Pékin en novembre suivant, pour finir à 8,1 millions en avril à Hongkong.

A Shanghaï, des centres d’exposition privés, salles de ventes et galeries s’ouvraient un peu partout. Ce petit monde aurait pu prêter plus d’attention au cochon à l’honneur de la nouvelle foire internationale d’art contemporain, en septembre, une truie croulant sous la graisse, entourée de porcelets les yeux écarquillés d’envie. Dans cet éloge au Dieu du matérialisme, Chen Wenling mettait en scène un animal vénéré pour symboliser la prospérité.


Vibrant contraste


Si les autorités ont laissé cette ironie se développer, c’est qu’elle était génératrice de rentrées en devises. Spectaculaires, les ventes aux enchères ont favorisé la prise du pouvoir par des collectionneurs étrangers pour lesquels «l’exhibitionnisme prenait la place de l’érudition», selon Rudolf Lorenzo, organisateur de la foire de Shanghai. Une excitation qui offre un vibrant contraste avec l’atmosphère en Chine continentale, qui ne s’est pas relevée de la catastrophe culturelle du maoïsme. «La population n’est pas encore éduquée, il n’y a pas vraiment de musées», admet Rudolf Lorenzo. Les rares amateurs fortunés chinois ne s’intéressent guère à l’art moderne, préférant récupérer les calligraphies, céramiques ou bronzes des anciennes dynasties. Ne pouvant compter sur la demande intérieure, artistes et intermédiaires se sont donc très vite tournés vers l’Occident, profitant de la fascination exercée par le nouvel Empire du milieu.

Davide Quadrio, pour sa part, parle de «tulipomanie», évoquant la spéculation qui a entraîné la Hollande du XVIIe siècle dans le premier krach boursier. Cet Italien à l’enthousiasme communicatif a créé à Shanghai le centre BizArt, destiné «à générer des idées et non de l’argent». Il s’est heurté à une incrédulité tenace et à une censure répétitive. Mais sa grande déception vient de l’alignement des codes esthétiques sur le commerce. «Sotheby’s et Christie’s ont traité la production artistique comme une industrie du luxe. La création a été transformée en outil financier, plutôt qu’en instrument de la renaissance culturelle de la Chine.» Les spéculateurs ont porté au pinacle la «bande des quatre», Zhang Xiaogang, Fang Lijun, Yue Minjun et Wang Guangyi. Cette école, qui détourne l’imagerie réaliste-socialiste, a été surnommée le «pop politique». Au second trimestre, selon une étude d’Artron, vingt tableaux de Yue se sont adjugés 2,6 millions d’euros chacun en moyenne. L’artiste a fait sa réputation avec des gros plans de visages souriants, figeant le bonheur promis à tous par le régime. Chez Fang, ils sont grimaçants. Zeng Fanzhi a usé du même procédé, sur des images de la Révolution culturelle.

Soupçon d’érotisme

Cette critique subliminale a le don de ne pas trop heurter les autorités, tout en amusant les salons de Manhattan. «Le succès brutal de cette poignée d’artistes en a fait des modèles pour toute une génération», déplore Davide Quadrio. Tout le monde a voulu des dollars. Le nombre de jeunes qui reproduisent la formule est consternant. Un peu partout, des faces joufflues, de grands sourires, des couleurs acryliques éclatantes, des drôles d’animaux, une pointe de jungle urbaine, sans oublier le soupçon d’érotisme… «Le marché aime les filles, il aime la couleur, alors les artistes ont produit des filles et de la couleur, lâche Philippe Koutouzis. La création s’est ainsi construite en rapport avec le laowaï - l’homme blanc ; c’est la première fois dans l’histoire de l’art moderne que tout un milieu d’artistes s’oriente ainsi vers l’étranger.» Cette flambée est l’histoire d’un choc culturel, entre crédulité occidentale et cynisme oriental.

Les plus commerciaux ont répété à satiété les mêmes sujets, faisant réaliser leurs tableaux dans des hangars par des assistants, se contentant d’apposer leur signature pour décrocher les millions. Davide Quadrio a été particulièrement choqué quand l’un d’eux, désireux de tenir une exposition au centre BizArt, lui a promis : «Pour vous, je ferai un vrai travail.» Aujourd’hui, Quadrio a déménagé à Bangkok. Quant aux marchands, ils repartent vers le Golfe.

Mais Philippe Koutouzis n’a pas perdu tout espoir, citant des exceptions comme le paysagiste Liu Weï ou Feng Shuo. Rudolf Lorenzo, lui, attend un renouveau de «la nouvelle génération qui a pu suivre des études à l’étranger».

Dans les projets d’exposition et les ventes, un regain d’intérêt se porte sur le XXe siècle, et les exilés. Car, hier, c’était l’exil, et non le marché, qui faisait l’artiste. La vague de médiocrité qui a submergé la Chine contraste avec la vitalité de créateurs vivant à l’étranger, tel Cai Guoqiang, dont les installations ont fait sensation, au musée d’art contemporain du Massachussetts (MassMoca), mais surtout à New York, où il a su formidablement tirer parti de l’architecture du Guggenheim pour mettre en scène un carambolage de voitures accrochées sous la rotonde dans une explosion de néons. Prémonition du sort qui attend l’art mercantile de son pays ?

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